Saadi Sinevi occupe une place essentielle dans l’histoire de l’art moderne libanais. Peintre, calligraphe, architecte et défenseur du patrimoine culturel, il a contribué à façonner l’identité artistique du Liban au XXᵉ siècle. Son œuvre, profondément ancrée dans l’amour du pays et de sa diversité, témoigne d’une quête constante de beauté, d’unité et d’expression nationale.
Né à Istanbul en 1902 dans une famille ottomane, Saadi Sinevi passe une enfance marquée par les déplacements et les bouleversements de la fin de l’Empire ottoman. Durant la Première Guerre mondiale, il s’installe à Beyrouth, où il découvre la richesse culturelle et paysagère du Liban, qui deviendra sa principale source d’inspiration.
Entre 1918 et 1922, il étudie l’architecture à Paris, mais se détourne bientôt de cette voie pour se consacrer pleinement à la peinture et aux arts visuels. À son retour au Liban, il s’immerge dans la création artistique, la calligraphie et la promotion de la culture nationale, combinant rigueur académique et sensibilité poétique.
Sinevi se distingue par ses paysages lyriques, dans lesquels il rend hommage à la nature et aux traditions du Liban. Ses toiles, telles que Femmes Druzes (1948) ou Al Barouk (1944), célèbrent la vie rurale, les montagnes, les vallées et les villages, traduisant à travers la couleur et la lumière une profonde affection pour le territoire libanais.
Son style, à la fois figuratif et expressif, combine la finesse du dessin à une palette vibrante, évoquant les émotions suscitées par la terre, les saisons et la mémoire collective.
Au-delà de son œuvre picturale, Saadi Sinevi a joué un rôle central dans la structuration du milieu artistique libanais. Dès les années 1930, il est nommé par le gouvernement pour organiser d’importantes expositions nationales, notamment au Palais de l’UNESCO et au Parlement libanais entre 1936 et 1942. Il fonde et préside l’Association des peintres et sculpteurs libanais, première institution du genre dans le pays, qui a rassemblé et soutenu plusieurs générations d’artistes. En 1942, il crée la revue Voix de l’Artiste, l’un des premiers périodiques consacrés à la critique et à la réflexion sur les arts visuels au Liban.
Artiste polyvalent, Sinevi maîtrise la calligraphie arabe, hébraïque et latine, qu’il considère comme un instrument de dialogue spirituel et culturel. Ses inscriptions ornent mosquées, églises et synagogues, incarnant sa vision d’un art au service de la coexistence et de la compréhension mutuelle.
Malgré les épreuves personnelles, l’exil, la perte de proches et les tensions politiques, Saadi Sinevi reste fidèle à sa mission artistique jusqu’à sa mort en 1987.
Son héritage dépasse la seule peinture : il est celui d’un bâtisseur culturel, d’un passeur entre les arts et les peuples, et d’un pionnier qui a su unir la mémoire et la modernité. Ses œuvres, conservées dans des collections publiques et privées, demeurent un témoignage vibrant de son attachement à la beauté et à l’âme du Liban.