Jacques Ruelland et Danièle (Dani) Lupin naissent tous deux à Versailles, lui en 1926 et elle en 1933. Elle choisira la sculpture en intégrant l’école Grange, lui une formation en peinture à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Les jeunes gens se rencontrent par l’intermédiaire des frères de Dani … et ne se quitteront plus. Immédiatement complices et amoureux, Dani et Jacques feront leurs les mots de Simonne de Beauvoir : "Le couple heureux qui se reconnaît dans l'amour défie l'univers et le temps, il se suffit, il réalise l'absolu." Les jeunes gens chercheront vite, en effet, à se rapprocher plus encore par une activité artistique commune. Dans l’atmosphère expérimentale de l’après-guerre, ils s’orienteront vers la céramique, discipline plurielle qui leur semble convenir à l’œuvre symbiotique à laquelle ils aspirent. Afin de conforter ce choix, Jacques et Dani se rendent à Vallauris à l’été 1950. Dans ce qui est alors l’épicentre de la céramique moderne, ils découvrent les œuvres de Picasso, Capron, Madoura et autres "cent potiers" du village qui réinventent la discipline. Leur choix est fait : "la céramique a été le point de rencontre de nos formations respectives, sculptures et peinture : les préoccupations de volumes, de matières et de couleurs s’y sont trouvées naturellement liées." Débute alors une œuvre à quatre mains où Dani créera les formes que Jacques décorera. Leur première exposition a lieu en 1951, sous le nom de "Danijac", et leurs pièces d’inspiration rustiques, zoomorphes et préhistoriques sont presque toutes vendues. Fort de ce premier succès, les époux Ruelland (ils se sont mariés en 1951) s’installent dans un atelier à Paris, rue Buci, qui sera également leur logement. Ils doivent désormais confirmer leurs débuts prometteurs et assurer un équilibre économique tout en exprimant leur sensibilité propre. Pour ce faire, les Ruelland vont chercher à créer LEUR terre, qu’ils veulent sombre pour rendre un émail plus éclatant et servir les expérimentations picturales de Jacques. Leur solution consistera à intégrer du manganèse à leur pâte, qui deviendra d’un gris sombre homogène. Cette terre alchimique, Jacques et Dani l’emploieront toute leur vie, et elle sera et leur transgression et leur secret. Pour son emploi, les Ruelland doivent encore trouver des émaux adaptés aux réactions propres de leur terre. Ils y parviendront par tâtonnements successifs, mélangeant les émaux industriels et variant les techniques de cuisson jusqu’à maîtriser une gamme unique de couleurs denses et diaprées. D’abord jaunes, oranges et rouges, leurs teintes seront de plus en plus nombreuses au fur et à mesure de leur carrière. S’ils exposent dans quelques galeries parisiennes, les céramiques des Ruelland sont essentiellement commercialisées à l’occasion du semestriel Salon des Ateliers d’Art (organisé par la Chambre syndicale des céramistes d’art de France), qu’ils rejoignent en 1955. Dani et Jacques fréquentent à cette occasion l’ensemble de la profession et notamment Georges Jouve, Denise Gatard, Roger Capron, Jacque Blin ou Pol Chambost. L’œuvre céramique du couple évolue à cette époque vers des pièces légèrement asymétriques, aux lignes simples et aux épaulements marqués en autant de vases ovoïdes à petits cols ou de bouteilles fuselées. Ces formes épurées se suffisant à elles-mêmes pour Dani, Jacques adapte son décor, abandonnant les scarifications pour une couverte monochromatique. Harmonieuses et éminemment décoratives, les créations des Ruelland trouvent leur public et le couple poursuit son œuvre. Au tournant des années 1960, cette dernière s’affirme vers toujours plus de formes élancées et de couleurs, au grès desquelles les émaux mats font place à des couvertes brillantes ou satinées. La signature "Danijac" disparait alors au profit de "Ruelland" ou "J.Ruelland" tandis que les déclinaisons de modèles de formes légèrement variantes et aux couleurs nuancées encouragent leur présentation en groupes cohérents et purement décoratifs. En 1970, les Ruelland décident de quitter Paris pour la commune des Angles, dans le Gard. L’atelier de la rue Buci est cédé à leur amie céramiste Denise Gatard et Jacques et Dani s’installent dans une ancienne maison de maître dont une pièce deviendra un showroom. Là, le couple va développer jusqu’en 1990 des ensembles d’objets aux formes déterminées ab initio par l’idée du groupe : bouteilles fines dont les ensembles constitués sont appelés "jeux d'orgues", "roseaux" cuits à plat, grandes bouteilles ovoïdes, vases sphériques, suspensions (…) Les couvertes font également l’objet d’expérimentations constantes. Parfois superposées au pistolet, leur variété n’a d’équivalent que leur superbe, entre roses, lavandes, verts acides, ocres, céladons, prunes, ivoires, mandarines, visons (…) Z Cette dernière période où les pièces prennent véritablement vie en groupe, transcendant leurs formes individuelles pour former par leur réunion une œuvre d’art à part entière, rencontrera un réel succès critique et commercial. Recevant des commandes nombreuses, les Ruelland participent par ailleurs à la vie culturelle et artistique de leur région. Se liant avec de nombreux artistes et musiciens, ils développent à partir de la fin des années 70 des "formes en balance", céramiques expérimentales dont le fond courbe propage le son permet d’en jouer à la manière d’un instrument à percussion . En 1989, la santé de Jacques pousse les Ruelland à suspendre leur activité. Ils vivront ensemble leurs dernières années, toujours enthousiastes, fervents et amoureux. Jacques s’éteindra en 2008. Dani le rejoindra en 2010. Reflet d’un enthousiasme immédiat et d’une quête d’intériorité, l’œuvre céramique de Dani et Jacques Ruelland témoigne de l’esthétique ludique et colorée des Années 1950 jusqu’aux expérimentations plasticiennes des Années 1970-1980. Mariage inédit de peinture et de sculpture, une œuvre des Ruelland se reconnait immédiatement en incarnant cette modernité joyeuse que ses créateurs appelaient "la céramique décloisonnée" .