Djamila Bent Mohamed (1933–2023) – Une pionnière de la peinture algérienne et une militante inflexible
Née en 1933 dans la Casbah d'Alger, Djamila Bent Mohamed est une figure majeure de l'art moderne algérien et de l'engagement politique au féminin. Orpheline de père dès l’enfance, elle grandit auprès de sa mère, enseignante en art du tapis, et développe très tôt une sensibilité artistique au contact de l’artisanat traditionnel. Adolescente, elle se confronte à l'autorité patriarcale : son oncle, son tuteur, tente de lui imposer le port du voile. Djamila oppose un refus silencieux mais ferme, marquant dès lors le début d’une vie de résistance. Elle confiera plus tard : « Ma vie a été une lutte de tous les jours, un éternel combat. »
Fascinée par les savoir-faire ancestraux, elle s’initie à la broderie et à la miniature. Élève talentueuse, elle entre à l’École des beaux-arts d’Alger, l’une des premières femmes algériennes à le faire, intégrant l’atelier du grand enlumineur Mustapha Ben Debbagh. Peindre, pour une femme dans l’Algérie coloniale, relève alors d’un acte subversif. Et pourtant, Djamila persévère, franchissant un à un les obstacles dressés contre son émancipation artistique.
Son engagement ne se limite pas à l’art. Dès 1953, elle rejoint l’Association des femmes musulmanes, puis, après le déclenchement de la révolution en 1954, elle milite activement au sein du Collectif des familles de détenus. En 1957, son activisme la mène en prison. Elle y subira la torture. Ces années de lutte forgeront chez elle une force intérieure qui imprègne aussi son œuvre plastique.
Après l’indépendance, elle reprend ses études artistiques et poursuit sa formation en Europe, à l’Académie Rival d’Amsterdam (dessin industriel) et à l’École supérieure des arts et métiers de Paris. Elle embrasse ensuite une carrière de designer et décoratrice au sein de grandes entreprises nationales telles que Sonatrach et Sonelgaz. Elle occupe notamment les postes de cheffe de service designer (1971–1974) puis cheffe de projet (1979–1988), à une époque où peu de femmes accédaient à de telles responsabilités dans le monde industriel.
Parallèlement, Djamila Bent Mohamed mène une carrière artistique internationale. Elle expose à Beyrouth, Alexandrie, Tunis, Bagdad, Pékin, Tokyo, Ankara, au Koweït, en Italie… et bien sûr en Algérie. Ses œuvres, dominées par une palette vive et contrastée (bleus profonds, oranges éclatants), se caractérisent par un langage graphique où le signe et le symbole, souvent hérités de traditions locales, occupent une place centrale. Son tableau le plus célèbre, El Bahdja dormant, est conservé au Musée national des beaux-arts d'Alger.
Dans les années 1970 et 1980, elle reçoit à trois reprises le Grand Prix de la ville d’Alger (1975, 1979, 1983) ainsi qu’un Diplôme d’honneur en 1987. Malgré le silence artistique qu’elle s’impose dans les deux dernières décennies de sa vie, Djamila Bent Mohamed demeure une référence incontournable dans l’histoire de la peinture féminine algérienne. Son nom revient avec force lors des grandes rétrospectives et hommages collectifs.
Son engagement politique et artistique a inspiré la littérature : selon la critique Nadira Aklouche Laggoune, elle aurait été l’une des sources d’inspiration du roman Le Jardin de Djemila (1958) de Maurice Clavel.
Djamila Bent Mohamed, artiste, militante, pionnière, a fait de sa vie une œuvre de résistance et de création.
            
               
                    
                         
  